Chapitre XXI
Dès les premières lueurs de l’aube, Xil aida Yvain à endosser son armure. Le jeune homme étouffa un bâillement. Il n’avait guère dormi car il avait passé une partie de la nuit à escalader la montagne pour dissimuler les sphères données par l’entité du marais. Il ignorait leur pouvoir mais faisait confiance à cette étrange créature. En lui tendant son bouclier, Xil dit :
— Cette fois, je reste près de vous.
— Une fois encore, je ne sais si tu fais le bon choix. La journée sera rude et j’ignore si nous verrons le soleil se coucher.
À pas lents, il gagna la petite éminence où se tenait de Guerreval. Il eut la surprise de voir de Gallas à son côté. Ce dernier donna l’accolade à Yvain en expliquant :
— Nos navires sont arrivés hier. Malheureusement, en dehors des moines, je n’amène qu’une vingtaine d’hommes d’armes ramassés à Temprudor.
Le connétable scrutait l’horizon où il pouvait discerner le campement des Godommes. Il y régnait une grande activité. Une heure plus tard, l’ennemi commença à avancer.
— Ils sont des milliers, souffla de Gallas en voyant les fantassins se répandre dans la plaine.
— Une colonie de fourmis en marche, grinça Yvain.
Le connétable se tourna vers un sergent posté derrière lui, attendant les ordres.
— Que les archers abandonnent leur position et se regroupent derrière notre ligne de défense. Contre des cavaliers, ils avaient une position dominante mais maintenant, il est certain que les Godommes se lanceront à l’assaut de leurs emplacements et ils seront rapidement submergés.
Il regarda une fois encore la progression des Godommes avant de soupirer.
— Il nous faut gagner nos positions. Non sans mal, j’ai réussi à convaincre cinquante chevaliers d’abandonner leurs montures pour renforcer notre premier rang. Les hommes se battront mieux s’ils se sentent soutenus par des nobles. Je n’ai gardé autour de moi que douze chevaliers qui ont été légèrement blessés mais ils tiennent encore sur leur monture.
Suivi de Xil, Yvain gagna sa place. Nombre de soldats l’avaient vu combattre et ils témoignèrent leur satisfaction par des murmures flatteurs. Un peu plus loin sur sa droite, Paul avait pris place. Il portait toujours la robe poussiéreuse et déchirée des moines du cristal.
Lentement, inexorablement, les Godommes approchaient. Le piétinement sourd de leurs bottes faisait vibrer le sol. Ils s’immobilisèrent un instant à quelques mètres de leurs adversaires puis avec des hurlements rageurs s’élancèrent en avant.
Bien vite la mêlée devint confuse. C’était une succession de combats individuels. Yvain frappait sans relâche tous ceux qui se dressaient devant lui. Malheureusement, dès qu’un Godomme tombait, un autre surgissait, irrésistiblement propulsé en avant par les lignes arrières. Rapidement, un monceau de corps pantelants se dressa devant Yvain. Les Godommes devaient l’escalader pour l’attaquer.
À droite et à gauche du jeune homme, des gardes tombèrent aussitôt remplacés sur l’ordre du connétable qui veillait au bon alignement de sa troupe. La présence des chevaliers en armure aux coups rapides et puissants permettait de tenir la position.
— Jusqu’à quand ? marmonna Yvain qui sentait sa respiration s’accélérer.
Insensible aux pertes, l’ennemi poursuivait son assaut. Les volées de flèches lancées par les archers blessaient ou tuaient de nombreux Godommes mais cela ne diminuait pas leur ardeur.
En dépit de leur farouche résistance, les fantassins du roi reculaient lentement.
— Attention à vous !
L’avertissement lancé par Xil permit à Yvain de parer une attaque d’un Godomme qui était parvenu à se glisser sur le côté. Une riposte rageuse ouvrit un cou dont les artères lancèrent une giclée de sang. Parer, frapper, frapper, encore frapper. Son bouclier tordu le protégeait moins bien et son bras s’engourdissait. Une sueur abondante coulait de son front, piquant les yeux, rendant sa vision trouble. Il dut reculer de plusieurs pas pour rester dans l’alignement et éviter d’être encerclé.
Ces quelques secondes de répit lui permirent de récupérer un peu de vision. Devant lui les Godommes semblaient toujours aussi nombreux alors que les rangs de l’armée royale s’étaient éclaircis. Derrière lui, il n’y avait plus qu’un seul cordon de gardes. Une défaite complète ne tardait pas à se profiler. Un sursaut de rage lui fit abattre son épée sur un crâne qui éclata comme un fruit trop mûr. Deux chocs firent vibrer son bouclier.
De Gallas combattait avec froideur et détachement. Ses gestes étaient rapides et précis. Ils devançaient toujours l’adversaire qui mourait avant d’avoir pu frapper. Toutefois, les gardes qui l’encadraient n’avaient pas la même réussite et ils furent contraints de reculer sous la pression adverse.
Les Godommes redoublèrent d’effort car ils sentaient venir le moment où ils pourraient encercler ce diable de chevalier.
— Paul, prenez garde !
L’avertissement lancé par Yvain se perdit dans le fracas de la bataille. Il se lança en avant, frappant de toutes ses forces, créant une brèche sanglante dans les rangs ennemis. Il parvint enfin à rejoindre Paul à l’instant où un Godomme allait le frapper par-derrière.
— Vite, reculez !
Les deux jeunes gens réussirent ainsi à rejoindre la ligne qui s’amenuisait dangereusement. Déjà, une vingtaine de Godommes avait réussi à percer. Ils furent attaqués par les chevaliers mais l’un d’eux fort agile, esquiva un coup de lance et arriva près de Guerreval qui combattait deux adversaires. Un coup d’épée frappa la jambe du connétable qui se retourna pour se débarrasser de ce nouvel adversaire ce qui permit à un autre Godomme d’enfoncer sa lame dans le poitrail du dalka qui hennit de douleur et s’effondra d’un bloc, entraînant son cavalier.
Henri ressentit un craquement et une vive douleur. Sa jambe restait coincée sous le cadavre de sa monture. Une brûlure au flanc suivit aussitôt. Un Godomme avait profité de son immobilisation pour lui porter un nouveau coup. Heureusement, un chevalier intervint alors avec vigueur et fit place nette. Il sauta de sa monture et aida de Guerreval à se libérer du cadavre de sa bête.
— Merci, souffla ce dernier. Prêtez-moi votre dalka et aidez-moi à me mettre en selle.
Les mâchoires crispées par la douleur, il se hissa sur sa monture. Il eut une vue d’ensemble de la situation. La percée godomme avait été contenue mais par endroit, il ne restait plus qu’un rang de fantassins. Il fit un grand geste pour appeler le dernier groupe d’hommes qu’il avait jusque-là gardé en réserve.
Yvain et Paul combattaient maintenant côte à côte. La pression de l’ennemi se fit un peu moins vive car les Godommes évitaient ces dangereux adversaires et il fallait la poussée des rangs arrières pour qu’ils voient un adversaire devant eux. Cela leur permit de retrouver un peu de souffle.
Jetant un coup d’œil derrière lui, Yvain comprit que le connétable lançait ses dernières forces dans la bataille, ce qui ne ferait que retarder une défaite inéluctable. Il pensa alors à la créature du marais et concentra son esprit sur les chiffres un et deux. Une seconde, il songea à l’inanité de cette tentative. La violence de l’explosion le surprit. Aussi puissante qu’un coup de tonnerre un jour de grand orage. Le flanc gauche de la montagne vibra et une avalanche de rochers s’abattit sur la troupe godomme.
Yvain évoqua aussitôt les autres chiffres. Cette fois, ce fut le côté droit de la montagne qui s’effondra. Il avait judicieusement placé les sphères noires, souhaitant faire tomber le plus grand nombre de rocs.
Le résultat dépassait ses espérances les plus folles. Au milieu du nuage de poussière qui s’élevait, il put constater que plus de la moitié de l’armée godomme avait été ensevelie. Les derniers rangs qui avaient été épargnés, s’enfuyaient à toutes jambes.
La troupe royale s’était également immobilisée mais les ordres hurlés par de Guerreval l’empêchèrent de se débander. Il ne restait plus qu’une centaine de Godommes, coincés entre les éboulis et l’armée. Revenu de sa surprise, le connétable lança ses hommes à l’attaque. Démoralisés, les Godommes n’offrirent qu’une maigre résistance et furent rapidement exterminés.
Lentement, le fracas des armes décrût, remplacé par les gémissements des blessés et les râles des mourants. Titubant de fatigue, chevaliers, gardes et paysans tentaient de se regrouper. Seul de Gallas trouvait l’énergie de rassembler les blessés et de leur porter assistance. Yvain retrouva le connétable assis un peu à l’écart. Son armure était couverte de sang et il présentait une profonde blessure à la jambe droite conséquence d’un coup d’épée aggravé par la chute de son dalka.
Escorté de cinq chevaliers, le roi ne tarda pas à le rejoindre.
— L’ennemi est en pleine déroute. Je pense que nous allons avoir un moment de répit.
Désignant deux chevaliers, il ordonna :
— Conduisez le connétable au château et demandez à Maître Arp de s’occuper de ses blessures.
— Je ne puis abandonner mon poste, protesta de Guerreval.
— Il importe d’abord de vous soigner, trancha le roi d’un ton sans réplique. En attendant, messire d’Escarlat prendra le commandement des troupes.
Devançant toute protestation, il ajouta sèchement :
— Je le veux !
Bien que surpris par cet ordre, Yvain eut la présence d’esprit de dire :
— Sire, faites-nous envoyer des chariots de vivres pour les hommes. Au retour, ils emporteront les blessés.
Tandis que le roi s’éloignait, le jeune homme se tourna vers Xil qui avait piètre allure mais ne semblait pas blessé.
— Escalade ce rocher et surveille le camp des Godommes. Si un détachement tente de franchir l’éboulis de pierrailles, préviens-moi aussitôt.
Parcourant le champ de bataille, il regroupa les hommes valides. Les pertes avaient été lourdes et ils étaient à peine deux cents. Toutefois, il réussit à reconstituer des unités encadrées par des sergents. Ceux-ci obéirent spontanément aux ordres d’Yvain car ils l’avaient vu combattre avec eux en première ligne. Enfin, plus de la moitié des chevaliers avait été tués. Une véritable saignée !
— Le roi nous fait envoyer des vivres que vous vous répartirez équitablement. Désignez des sentinelles pour prévenir une incursion nocturne des Godommes.
— Ceux qui sont sous ces amas de pierres ne sont plus à craindre, ricana un vieux briscard dont le front était coloré par une estafilade sanglante.
Yvain rejoignit de Gallas qui avait fait allonger les blessés à l’abri d’un surplomb rocheux, aidé par les plus valides. Le regard triste, il murmura :
— Beaucoup ne survivront pas mais je tiens à leur apporter un dernier réconfort.
Xil les rejoignit alors, la mine joyeuse.
— Tous les Godommes ont regagné leur camp. Ils n’étaient plus guère nombreux. Cet éboulement de la montagne fut le bienvenu. Je me demande encore comment il a pu se produire.
— Les voies de la providence divine sont imprévisibles, marmonna Yvain.
De Gallas regarda son ami avec curiosité. C’est la première fois qu’il l’entendait évoquer l’Être Suprême.
*
* *
Dans sa tente, Radjak écumait de rage et injuriait Zak, son général.
— Tu n’es qu’un incapable, indigne de commander. J’avais dit que je voulais coucher ce soir à Rixor.
— L’ennemi s’est habilement défendu. Je ne sais comment leur chef s’y est pris mais il a réussi à convaincre les chevaliers de se mêler à la piétaille pour renforcer leur ligne. En dépit de cela, nous avions pratiquement réussi à user leurs forces. Si le combat avait duré une heure de plus, nous les aurions écrasés. Malheureusement, la montagne s’est effondrée, écrasant la moitié de nos hommes. Ceux de l’arrière-garde se sont enfuis, épouvantés tandis que ceux restés coincés entre l’éboulis et la ligne ennemie ont été massacrés.
— Il fallait reconnaître les lieux !
— Je l’ai fait à deux reprises et la montagne paraissait solide.
Merchak intervint, le visage soucieux.
— Je crois que Zak a raison. La montagne n’avait aucune raison pour s’écrouler aussi brusquement. Il y a là un mystère que je ne puis expliquer. J’aimerais pouvoir examiner les lieux.
— Ce n’est guère envisageable, dit Zak car les gens de Rixor sont restés à proximité. Qui sait même, si, profitant de notre faiblesse actuelle, ils ne vont pas tenter une attaque demain. Je pense qu’il nous faut envisager une retraite rapide.
L’idée acheva de rendre Radjak fou furieux.
— Tu es un lâche, un traître, hurla-t-il à son général.
Sous l’insulte, Zak blêmit et porta instinctivement la main à la garde de son épée. Le Csar prévint son geste et tira son médaillon de son pourpoint. Aussitôt, un éclair en jaillit frappant le général. Sans un cri, ce dernier tomba lentement sur le sol.
— Ce n’est ni intelligent ni juste, dit Merchak.
Radjak n’était plus sensible au raisonnement dans l’état de fureur démente où il était.
— Je n’ai plus besoin des conseils d’un sinistre imbécile comme toi. Va rejoindre Zak !
Un nouvel éclair frappa le sorcier qui fut un instant entouré de minuscules étincelles qui s’éteignirent vite. Ébahi, le Csar contempla Merchak qui souriait ironiquement.
— Votre arme est sans effet sur moi sinon je ne vous l’aurais pas donnée.
Toutefois, il s’empressa de quitter la tente en voyant Radjak saisir son poignard.
*
* *
Le capitaine de Guerreval était allongé sur son lit, simples planches recouvertes d’une mince paillasse. Maître Arp contempla longtemps le corps dénudé qui portait plusieurs blessures. Il entreprit de les nettoyer avec un mélange d’eau, de vin et d’herbes aromatiques. Doucement, il lava la figure porteuse d’une balafre sur la joue droite.
— Simple égratignure, marmonna-t-il, qui sera tout au plus inesthétique.
Une large plaie entaillait le flanc gauche, souvenir d’une lame qui avait trouvé le défaut de sa cuirasse. Arp écarta doucement les lèvres de la plaie.
— Vous avez de la chance, capitaine. Seuls la peau et les muscles sont coupés mais le ventre est indemne.
Il saisit le linge que lui tendit son aide, long jeune homme à la figure blafarde. Il l’humecta de sa mixture avant de l’appliquer sur la plaie et de le fixer par de larges bandes de toile.
Quand il examina la jambe droite, une petite grimace contracta son visage. Dix centimètres au-dessous du genou, une plaie s’étendait sur plus de la moitié de la circonférence du mollet. Il palpa longuement et mobilisa doucement le pied. La manœuvre amena une plainte discrète sur les lèvres du blessé.
— Alors ? s’impatienta Henri. Dépêchez-vous, j’aimerais pouvoir me reposer. Je me sens plus fatigué que si j’avais couru des jours entiers.
— Vous avez perdu beaucoup de sang, grogna Maître Arp qui poursuivit son examen en dépit du sang qui recommençait à sourdre de la jambe.
Un long moment plus tard, il s’assit à la tête du lit sur un tabouret que son assistant s’empressa de lui apporter.
— Parlons net, dit-il d’une voix sèche. Votre blessure de la jambe est grave. L’os a été brisé et surtout les artères ont été sectionnées. Votre pied n’est plus nourri et est déjà violacé. Il ne tardera pas à se gangrener.
— Au fait, Maître Arp. Cessez ce galimatias que je ne comprends pas et dites-moi la vérité.
— Soit ! Il faut amputer la partie malade sinon elle pourrira et empoisonnera votre corps. Dans trois ou quatre jours, vous serez mort.
Seul un froncement de sourcil trahit la réaction du capitaine.
— Alors mettez-vous immédiatement au travail ! Il sera dit que le Prince des ténèbres veut m’emporter morceaux par morceaux. Après la main, le pied.
— Je crois surtout qu’il vous accorde un nouveau sursis. Sans doute n’êtes-vous pas aussi mauvais que vous voulez le faire croire.
Il se leva pour donner des ordres à son assistant qui sortit de la chambre en courant. Après un moment de silence, Henri reprit ;
— Pourrai-je remarcher ?
— Vous n’êtes pas le premier soldat que j’ampute. J’ai conçu une jambe artificielle qui vous permettra de vous tenir debout et même de monter sur un dalka. Bien évidemment, vous ne pourrez courir mais je sais que la fuite n’entre pas dans votre caractère.
— Dans ce cas, je vous fais confiance.
L’aide revint, porteur d’un lourd coffret de bois et d’une pile de linge propre qu’il déposa sur une petite table. Maître Arp retroussa les manches de son pourpoint et sortit de la mallette plusieurs instruments métalliques.
— Je les ai fabriqués moi-même, dit-il avec une once de fierté dans la voix, de vraies merveilles !
— Je vous donnerai mon sentiment plus tard, ironisa Henri.
— Mordez dans ce morceau de bois, dit l’assistant, cela vous empêchera de crier.
Le capitaine refusa d’un signe de la tête.
— Je n’en ai pas besoin ! Vous n’aurez pas la satisfaction d’entendre mes plaintes.
Maître Arp arrosa généreusement la plaie de vin aromatisé puis il passa une grosse corde au niveau de la cuisse qu’il serra fortement. Il souleva alors le genou tandis que son aide maintenait le pied. Il saisit un couteau brillant à la lame longue et fine. D’un mouvement rapide, il trancha les chairs en regard de la fracture.
Le capitaine serra les mâchoires mais aucun son ne sortit de sa gorge. Une minute plus tard, l’assistant emportait le pied qu’il posa sur le dallage.
— Allez-vous cautériser la plaie au fer rouge ? demanda Henri.
— J’ai abandonné cette pratique barbare. Je préfère ma technique qui consiste à lier les vaisseaux.
De fait, avec une pince, il fouilla les chairs et passa de petits fils de lin qu’il serrait minutieusement.
— Pourquoi les autres barbiers ne font-ils de même ? demanda le capitaine quand la douleur n’était pas trop forte.
— Pour cela, il faut connaître l’anatomie humaine, savoir que notre Grand Prêtre refuse de diffuser de peur de perdre son prestige.
— Si nous revenons un jour à Fréquor, grinça Henri, je crois qu’il aura beaucoup de soucis et son remplaçant sera plus compréhensif à l’égard de votre corporation.
— Acceptons-en l’augure.
Enfin satisfait de son travail, Maître Arp se redressa et termina par un gros pansement.
— C’est terminé. Maintenant vous devez rester immobile et vous reposer. Je reviendrai vous visiter demain.
Délicatement, il épongea le front de son patient qui s’était progressivement humecté de sueur.
— Couvrez-moi ! Je ne voudrais pas qu’une chambrière, alléchée par le spectacle que je donne, veuille profiter de l’aubaine.
— Si vous pensez encore à la bagatelle, la guérison ne tardera pas, sourit le chirurgien. En attendant que vous puissiez donner libre cours à vos bas instincts, je vous conseille de manger légèrement et de boire beaucoup pour compenser la perte de sang.
*
* *
Un Godomme en armes pénétra dans la tente du sorcier. Merchak dormait entre ses deux esclaves. Les malheureuses étaient couchées à plat ventre, exhibant leurs fesses striées de marques rouges. La veille, leur maître avait été particulièrement féroce, à la mesure de la tension que le Csar lui avait fait subir.
— Messire, notre maître vous demande d’urgence. Nous levons le camp dans une heure.
Radjak était debout devant sa tente. Il semblait plus calme que la veille. Il s’adressa à Merchak d’une voix normale.
— Nous devons tirer la leçon de notre échec. Nous regagnerons Fréquor car je ne pense pas que Karlus peut nous suivre.
— C’est l’évidence car ses troupes ont été très éprouvées.
— Nous passerons l’hiver dans la capitale, ce qui me donnera le temps de demander aux diverses tribus de m’envoyer des renforts. Tu retourneras là-bas pour stimuler leur zèle et faire provision de nouvelles racines de force. Pendant cette période, j’enverrai des détachements explorer les montagnes de l’Est à la recherche du temple du Cristal. Même si nous ne le trouvons pas, cela dissuadera les moines d’en sortir pour aider Karlus.
— Je sais au moins dans quelle direction il faut chercher, sourit le sorcier. J’ai trouvé des fragments de parchemin qui situe la région, malheureusement sans précision.
— Excellent, tu donneras le renseignement à Tahar qui remplace désormais Zak.
Il regarda longuement le col où tant de ses guerriers étaient morts avant de lancer à l’attention des officiers groupés autour de lui :
— J’abandonne la place mais je fais le serment de revenir et d’étriper Karlus de mes propres mains.